Dans le domaine du transport aérien, la question du remplacement des carburants, qui sont produits aujourd’hui exclusivement à partir du pétrole, se pose de façon récurrente. Les motivations sont variées : fluctuation du prix du baril de pétrole, tensions géopolitiques, impact des émissions de dioxyde de carbone (CO2) sur l’évolution du climat… La recherche de carburants de substitution (dits carburants alternatifs) explore deux types d’approches. La première voie, très prospective, s’intéresse à l’hydrogène. Au-delà de son intérêt pour la combustion – pouvoir calorifique massique supérieur d’un facteur trois à celui du kérosène et émissions réduites uniquement à de la vapeur d’eau –, les défis technologiques sont encore nombreux, tant au niveau d’une filière de production de l’hydrogène qui soit compétitive sur les plans économique et environnemental, qu’au niveau du stockage sous forme liquide (soit à moins de — 250 0C) de cette substance à bord des aéronefs. L’autre voie, qui concentre la majorité des recherches actuelles, consiste à mettre au point un carburant aux propriétés proches du kérosène et qui ne soit pas issu du pétrole. C’est cette seconde approche qui sera développée ici.
Les carburants aéronautiques actuels
Les moteurs à turbines (turboréacteurs et turbopropulseurs) qui équipent la majorité des avions ou des hélicoptères (civils ou militaires) utilisent du kérosène. Ce carburant est un mélange d’hydrocarbures et est obtenu par soutirage d’une coupe pendant la distillation du pétrole, typiquement entre 150 0C et 275 0C. Il est composé de plusieurs centaines de chaînes carbonées distinctes, chacune d’entre elles comprenant entre huit et seize atomes de carbone.
Le carburant de référence pour l’aéronautique civile et le plus répandu est le Jet A-1. Ses propriétés sont définies par la norme internationale A.S.T.M. D1655 (A.S.T.M., signifiant à l’origine American Society for Testing and Materials, est devenue un organisme international de normalisation). Les caractéristiques physiques du carburant Jet A-1 répondent aux critères d’efficacité et de sécurité exigés dans le domaine du transport aérien, que ce soit pour les opérations au sol ou pour les phases de vol. Les principales propriétés sont :
– Un pouvoir calorifique élevé, qui vaut au moins 42,8 mégajoules par kilogramme. Il représente la quantité d’énergie dégagée par unité de masse de carburant lors de sa combustion. Cette grandeur est très importante car elle procure à l’aéronef une plus grande autonomie pour une masse embarquée constante (ce qui revient à dire qu’elle permet d’alléger la masse à autonomie constante).
– Un point de congélation très bas, qui doit être inférieur à — 47 0C, ce qui permet de conserver le carburant à l’état liquide lorsque l’aéronef est en vol de croisière, dans un environnement à — 65 0C.
– Un point éclair (ou température au dessus de laquelle des vapeurs de carburant peuvent s’enflammer en présence d’une flamme), qui doit être supérieur à 38 0C, afin de garantir des manipulations sûres du carburant au sol.
D’autres propriétés telles que le contenu en soufre, l’acidité ou la densité du carburant sont également définies par la norme A.S.T.M. Comme chaque élément constitutif de l’aéronef, le carburant doit subir une série de tests avant certification afin de montrer sa compatibilité avec les matériaux utilisés dans le circuit carburant (réservoirs, pompes, etc.) et les turbines.
Aéronautique, émissions et environnement
Les avions constituent un moyen de transport économe. En effet, la consommation moyenne aux 100 kilomètres par passager transporté est d’environ 3 litres pour l’Airbus 380 alors qu’elle s’élève en moyenne à près de 6 litres pour une automobile. Le principal gaz à effet de serre émis est le dioxyde de carbone. Au niveau mondial, le trafic aérien n’est responsable que d’un peu plus de 10 p. 100 des émissions de CO2 liées au transport. Toutefois, avec un taux de croissance du trafic aérien de l’ordre de 4,5 p. 100 par an, qui devrait se maintenir dans les prochaines décennies, il devient primordial de maîtriser l’empreinte environnementale et de compenser la croissance de la flotte dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles et de risque de changement climatique. Pour cela, l’industrie aéronautique européenne s’est fixée des objectifs sociétaux et environnementaux pour les échéances 2020 et 2050. Parmi eux, figure une forte réduction des émissions de l’ensemble des gaz à effet de serre et plus spécifiquement le CO2. L’industrie aéronautique soutient ainsi la directive européenne sur les énergies renouvelables publiée en 2009, visant un niveau de 10 p. 100 d’énergies renouvelables pour le secteur des transports pour 2020.
La consommation mondiale de kérosène à usage aéronautique s’est élevée à 240 millions de tonnes de kérosène en 2008, selon l’Agence internationale pour l’énergie. Cela représente 8 p. 100 de la consommation globale d’énergie sous forme d’hydrocarbures (liquides et gazeux). L’aviation est responsable de 2 p. 100 des émissions de CO2 issues des activités humaines, alors que les autres modes de transport en représentent 16 p. 100 et les énergies électrique et thermique le double, soit 32 p. 100. Compte tenu du fort taux de croissance du secteur aéronautique, la part de l’aviation dans les émissions de CO2 pourrait tripler d’ici 2050 si rien n’est fait.
Depuis le milieu des années 2000, l’industrie aéronautique s’est engagée à évaluer et certifier des carburants alternatifs, ainsi qu’à soutenir l’émergence de nouvelles filières.
Les filières possibles
Les principales filières permettant d’obtenir des carburants alternatifs sont :
– la transformation de matière carbonée en hydrocarbure via le procédé Fischer-Tropsch ;
– la transformation d’huiles végétales en biodiesel (diester) ou hydrocarbure ;
– la fermentation de glucides (sucres) en alcools ;
– la transformation de matière carbonée en huile par pyrolyse.
La technologie Fischer-Tropsch est connue depuis le début du XXe siècle et permet de synthétiser des hydrocarbures via une catalyse de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène. Cette opération s’effectue à partir du charbon (méthode utilisée en Afrique du Sud depuis les années 1950), du gaz (plusieurs filières ont été mises en place, notamment en Malaisie et au Qatar) ou encore, plus récemment, à partir de résidus agricoles et forestiers. Dans ce dernier cas, des projets d’usines pilotes sont en cours de développement avec une production annuelle visée aux alentours de 20 à 25 kilotonnes d’hydrocarbures. En fonction des paramètres choisis lors de la synthèse, on produira des hydrocarbures légers (butane, essence) ou plus lourds (kérosène, diesel).
Les huiles végétales sont un carburant connu, avec une composition très proche des hydrocarbures. À l’état brut, elles présentent plusieurs inconvénients mais leur utilisation sous forme transformée (biodiesel, obtenu par trans-estérification d’huiles végétales) est devenue courante pour les moteurs automobiles diesel. En utilisant un processus physico-chimique plus complexe, cette fois à base d’hydrogène (hydrotraitement), il est également possible de synthétiser des hydrocarbures. Ces derniers ainsi produits comportent des chaînes carbonées relativement longues, déterminées par l’huile végétale utilisée, et ont des propriétés proches de celles du diesel. Un traitement complémentaire d’hydrocraquage permet d’obtenir un mélange de kérosène et d’hydrocarbures plus légers (gaz et essence). On parle alors d’huiles hydrotraitées.
La fermentation de glucides aux fins de production de bioéthanol a été développée ces dernières années et est la source principale de biocarburant pour les moteurs à essence.
La pyrolyse de matière carbonée permet d’obtenir des huiles lourdes ; c’est une filière émergente qui nécessitera des développements pour répondre aux besoins des moteurs et turbines conventionnels.